L’entrepreneur est-il un voisin comme un autre ? Doit-il craindre pour sa sécurité juridique s’il venait à importuner le voisinage par la réalisation de travaux ? Tentative de réponse !
Introduction
L’entrepreneur de construction est évidemment tenu contractuellement vis-à-vis de son maître de l’ouvrage. L’entrepreneur devra réaliser les travaux conformément aux dispositions du contrat d’entreprise et dans le respect des règles de l’art de son métier.
Toutefois, le maître de l’ouvrage n’est pas nécessairement la seule personne à laquelle l’entrepreneur doit rendre des comptes. Qu’en est-il des voisins du maître de l’ouvrage qui subissent un dommage à cause des travaux exécutés par l’entrepreneur ?
La théorie des troubles de voisinage – champ d’application
En droit belge, il est admis de longue date qu’une personne victime d’un trouble anormal émanant d’un fonds voisin peut demander à son voisin l’indemnisation de ce trouble même si le voisin n’a pas commis de faute. Il s’agit de la théorie dite des troubles de voisinage.
Cette théorie ne s’applique que si le trouble subi par un des voisins dépasse manifestement les inconvénients normaux entre voisins, notion qui sera appréciée au cas par cas par le juge. Le trouble de voisinage étant considéré comme une rupture de l’équilibre entre les fonds voisins, la théorie des troubles de voisinage est fondée sur l’article 544 du Code civil qui consacre le droit de propriété et l’égalité entre les propriétés de chacun.
Ainsi, le propriétaire dont le mur sera déstabilisé lors de travaux d’excavation chez son voisin subit un trouble anormal de voisinage et pourra demander à son voisin la réparation de son dommage, même si son voisin n’a pas commis de faute.
L’application de cette théorie des troubles de voisinage a toujours été limitée aux propriétaires de fonds voisins et aux personnes exerçant un attribut de la propriété sur ces fonds, par exemple le locataire.
Il s’ensuit que l’entrepreneur de construction, qui ne jouit pas du fonds en question et qui n’intervient qu’à la demande du maître de l’ouvrage, n’est pas visé par la théorie des troubles de voisinage. En revanche, l’entrepreneur propriétaire du fonds qu’il bâtit pourrait se voir appliquer la théorie des troubles de voisinage.
Par conséquent, dans l’exemple cité ci-dessus, l’entrepreneur qui intervient à la demande d’un des voisins pour réaliser des travaux d’excavation, ne risque pas d’être assigné sur base de la théorie des troubles de voisinage par le propriétaire du fonds voisin dont le mur a été déstabilisé lors de ces travaux.
Mais il n’est pas à l’abri pour autant !
L’entrepreneur de construction et les voisins : deux scénarios possibles
Il est évident que des travaux sur un fonds peuvent causer des désagréments aux voisins. Ces désagréments peuvent résulter tantôt des nuisances liées à des travaux de construction (bruit, vibration, poussière/pollution, etc.) tantôt de la mauvaise exécution des travaux par l’entrepreneur (mur déstabilisé à cause des travaux d’excavation exécutés de manière négligente, rupture d’une canalisation, …).
Si un propriétaire estime avoir subi un trouble résultant des travaux réalisés chez le voisin, il a deux possibilités : soit il s’adresse à l’entrepreneur fautif dans le cadre d’une action en responsabilité extracontractuelle classique, soit il invoque la théorie des troubles de voisinage à l’égard de son voisin maître de l’ouvrage.
Action en responsabilité extracontractuelle du voisin contre l’entrepreneur
Le voisin dont le mur a été endommagé lors de travaux d’excavation chez le maitre d’ouvrage peut introduire directement une action en responsabilité extracontractuelle contre l’entrepreneur ayant réalisé de manière fautive ou négligente les travaux en question pour obtenir la réparation de son dommage (article 1382 du Code civil).
Dans cette hypothèse, le voisin préjudicié devra prouver l’existence d’une faute dans le chef de l’entrepreneur et le lien causal entre cette faute et son dommage.
Action en garantie du maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur
Une autre possibilité du voisin préjudicié consiste à attaquer en justice le voisin- maître de l’ouvrage en raison de troubles anormaux. Dans ce cas, le voisin réclame l’indemnisation de son dommage non pas directement à l’entrepreneur, mais à son voisin maître de l’ouvrage sur base de la théorie des troubles de voisinage. Comme précisé ci-dessus, l’application de cette théorie n’exige pas l’existence d’une faute dans le chef du voisin maître de l’ouvrage. Il suffit que le voisin ait subi un trouble excessif suite aux travaux de l’entrepreneur.
Le voisin préjudicié pourrait d’ailleurs combiner cette action contre le maître de l’ouvrage et l’action en responsabilité dirigée directement contre l’entrepreneur.
Qu’il soit assigné seul ou avec l’entrepreneur, le maître de l’ouvrage n’hésitera évidemment pas à introduire une action en garantie contre l’entrepreneur étant donné que le dommage du voisin trouve son origine dans la faute de l’entrepreneur.
Ainsi, dans l’exemple énoncé ci-dessus, si le voisin dont le mur a été déstabilisé par les travaux d’excavation chez le voisin maître de l’ouvrage décide d’agir contre ce dernier sur base de la théorie des troubles de voisinage, le maître de l’ouvrage, qui n’est pas responsable de la faute commise lors des travaux, se retournera sans doute contre son entrepreneur.
Si l’entrepreneur ne peut donc être visé directement par la théorie des troubles de voisinage, il peut l’être de manière indirecte dans le cadre d’une action en garantie formulée par le maître de l’ouvrage.
Alors que le maître de l’ouvrage et son entrepreneur sont liés par un contrat d’entreprise, l’action en garantie exercée par le maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur est généralement (1) qualifiée d’action extracontractuelle dans la mesure où le maître de l’ouvrage ne cherche pas l’indemnisation d’un dommage résultant d’une mauvaise exécution du contrat ; il ne s’adresse pas à l’entrepreneur en sa qualité de maître de l’ouvrage, mais en tant que propriétaire d’un fonds assigné par le voisin victime d’un trouble causé par une faute de l’entrepreneur. Dans ce contexte, l’action du maître de l’ouvrage contre son entrepreneur est purement extracontractuelle de sorte que l’entrepreneur invoquera en vain une clause exonératoire de responsabilité prévue dans le contrat d’entreprise.
Responsabilité de l’entrepreneur sans faute ?
Il ressort de ce qui précède que la responsabilité de l’entrepreneur ne peut être engagée (directement par le voisin ou indirectement par le maître de l’ouvrage) que si les auteurs de l’action établissent une faute dans son chef.
Ainsi, l’entrepreneur qui, sans commettre de faute, cause de nuisances sonores excessives au voisin du maître de l’ouvrage ne pourrait être tenu pour responsable de ce trouble que s’il s’est engagé contractuellement vis-à-vis du maître de l’ouvrage de garantir tout trouble de voisinage causé par des travaux. A défaut d’une telle clause, seul le maître de l’ouvrage devrait indemniser le trouble du voisin résultant de l’exécution non fautive des travaux.
Conclusion : notre conseil
Il est loisible aux parties d’insérer dans les contrats d’entreprise des clauses visant à limiter les risques d’une mise en cause de la responsabilité des entrepreneurs, qu’elle soit objective (càd sans faute) ou non.
Pour que ces clauses puissent assortir leur effet, il faut cependant qu’elles soient libellées de manière non-équivoque.
Prendre le temps de la relecture de ses contrats, voire de leur modification, peut être d’une grande économie pour l’avenir !
Maîtres Jana HOFFMANN & Julien VERMEIREN
(1) Même si certains auteurs considèrent que l’action du maître de l’ouvrage doit être qualifiée d’action contractuelle.