Réaliser des travaux sans accès à la profession : danger !

Il n’est pas rare qu’un entrepreneur, soit pour rendre service à un client, soit pour remplir son carnet de commande, accepte de réaliser certains travaux sans nécessairement disposer de l’accès à la profession pour ceux-ci. Sans danger ? Pas vraiment !

 

  1. Base légale.

 

Les articles 4 et 5 de la loi du 10 février 1998 sur la promotion de l’entreprise indépendante prévoient respectivement ce qui suit :

 

Art.  4, § 1er : « Toute P.M.E., personne physique ou personne morale, qui exerce une activité exigeant une inscription au registre du commerce ou de l’artisanat doit prouver les connaissances de gestion de base. »

 

Art.  5, § 1er : « Toute P.M.E., personne physique ou personne morale, qui exerce une activité professionnelle pour laquelle la compétence professionnelle est fixée, doit prouver qu’elle dispose de cette compétence professionnelle. »

 

La preuve des connaissances de base en matière de gestion et la preuve de la compétence professionnelle sont désignées usuellement sous le terme « accès à la profession »[1].

 

Dans le domaine de la construction, l’arrêté royal du 29 janvier 2007, relatif à la capacité professionnelle pour l’exercice des activités indépendantes dans les métiers de la construction et de l’électromécanique, décrit les activités en rapport avec la construction et énumère les compétences professionnelles spécifiques requises pour chacune de ces activités.

 

En vertu de la loi du 16 janvier 2003 portant création de la Banque Carrefour des Entreprises (BCE), chaque entreprise doit déclarer à la BCE les activités qu’elle exerce (art. 6, §1er, 7°). Les activités déclarées sont reprises sous la rubrique « activités code NACEBEL version 2008 ».

 

Si l’entreprise exerce une profession dont l’accès est règlementé, il appartient à la BCE de vérifier si l’entreprise dispose de l’accès à la profession. Les « compétences professionnelles et connaissances de gestion de base » sont censées être reprises dans la BCE.

 

C’est donc par la consultation de la  BCE[2] que l’activité d’une entreprise et son accès à la profession peuvent être vérifiés. L’article 9 de la loi du 10 février 1998 indique d’ailleurs « L’inscription dans la Banque Carrefour des Entreprises en tant qu’entreprise commerciale ou artisanale constitue la preuve qu’il a été satisfait exigences en matière de capacité entrepreneuriales, sauf preuve du contraire ».

 

 

  1. Sanctions

 

L’accès à la profession est une notion relevant de l’ordre public. Un contrat d’entreprise avec un entrepreneur n’ayant pas accès à la profession contrevient dès lors à l’ordre public.

 

Or, en vertu de l’adage « nemo auditur turpitudinem suam allegans », personne ne peut se prévaloir en justice d’une convention contraire à l’ordre public pour en demander l’exécution[3].

 

« Cet adage a des conséquences pratiques importantes pour les parties à la convention. Il n’est en effet pas possible pour un entrepreneur […] d’agir en paiement des sommes lui revenant en exécution d’une convention affectée de nullité absolue. Le juge doit l’en débouter d’office en application de l’adage et prononcer la nullité du contrat. 

 

Le même sort attend l’action en responsabilité contractuelle que voudrait diriger le maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur pour des vices d’exécution ou des retards  dans les travaux […] »[4].

 

Il s’ensuit qu’un contrat d’entreprise conclu avec un entrepreneur n’ayant pas accès à la profession est de surcroît nul de nullité absolue.

 

En principe, le contrat d’entreprise est annulé en son intégralité. Une nullité partielle du contrat peut être envisagée lorsque les travaux pour lesquels l’entrepreneur ne dispose pas d’accès à la profession peuvent être dissociés des autres travaux. Il convient de vérifier « si les obligations souscrites à travers du contrat sont indivisibles pour déterminer si l’ensemble du contrat doit se voir annuler ou seulement la partie de celui-ci contrevenant aux règles d’accès »[5].

 

La nullité d’un contrat implique, en principe, la remise des choses dans leur pristin état et, dans le cas d’une convention synallagmatique, la restitution réciproque, en nature ou par équivalent, des prestations exécutées.  Le juge peut cependant refuser aux parties ou à l’une d’elles, tout ou partie des restitutions si l’ordre social exige qu’elles soient sanctionnées ou que l’une d’elles soit sanctionnée plus sévèrement. Il s’agit d’une application de l’adage « in pari causa turpitudinis cessat repetio ». 

 

« En ce qui concerne la restitution par équivalent pour les travaux déjà réalisés, ce sont les principes de l’enrichissement sans cause qui trouvent à s’appliquer, à savoir que l’enrichi, le maître de l’ouvrage, a l’obligation de restituer le montant de son enrichissement à l’appauvri, l’entrepreneur, sans que ce montant restitué ne puisse dépasser le montant de l’appauvrissement.

 

Pour ce qui est de l’enrichissement, il correspond logiquement à la valeur normale des travaux, d’après le prix du marché, sans que ce montant puisse excéder le prix des travaux suivant le contrat. […] Les vices et malfaçons affectant les travaux diminuent à due concurrence l’enrichissement qu’en retire le maître de l’ouvrage.

 

L’appauvrissement de l’entrepreneur est lui représenté par la valeur de l’ensemble de ses prestations, la jurisprudence écartant à juste titre le bénéfice de l’entrepreneur puisque le contrat n’ayant censé jamais existé, il saurait avoir appauvri l’entrepreneur d’un bénéfice qu’il n’était jamais censé pouvoir réaliser. [6] »

 

 

  1. Conclusion

 

L’entrepreneur sera particulièrement attentif à refuser de réaliser des travaux sans disposer des accès pour ce faire. A défaut, il risque de ne jamais être payé de ceux-ci.

 

 

 

Julien VERMEIREN

 

[1] T. LOTH et O. HAENECOUR, Les règles de l’art et la compétence des constructeurs, Le Pli juridique, n°21 octobre 2012, p. 16.

[2] http://kbopub.economie.fgov.be/kbopub/zoeknummerform.html

[3] Cass., 19 mai 1961, Pas., 1961, I, p. 1008.

[4] A. DELVAUX et B. DE COCQUEAU, « L’ordre public en droit de la construction : un concept aux multiples ramifications », in Droit de la construction, sous la direction de B. KOHL, C.U.P. vol. 166/2016,  Larcier, Bruxelles, 2016, p. 20.

[5] Ibidem, p.30.

[6] Ibidem, p. 33.