La notion de sinistre intentionnel en droit des assurances

La législation en matière d’assurances[1] exclut l’indemnisation du sinistre lorsque le bénéficiaire potentiel a commis intentionnellement le sinistre. Cette notion a fait couler beaucoup d’encre, mais a abouti à une interprétation qui semble à présent bien ancrée dans la doctrine et la jurisprudence.

Une affaire récemment jugée nous permet de revenir sur cette problématique.

 

Dans ce dossier, un agriculteur avait constaté à plusieurs reprises le passage d’un tracteur sur ses terres. Il ressort du dossier répressif que le conducteur du tracteur, devant livrer du maïs d’une parcelle vers une autre, voulait raccourcir son trajet en passant par ce chemin.

 

Après plusieurs avertissements, l’agriculteur avait vu rouge : il s’était saisi d’un pistolet et était monté dans son fenil, puis avait fait feu en direction du tracteur, blessant le conducteur et son passager.

 

Si l’on pensa initialement à une tentative d’assassinat (!), les faits seront toutefois requalifiés durant l’enquête en coups et blessures volontaires.

 

Après les débats devant le Tribunal correctionnel de Liège, celui-ci estimera même devoir considérer qu’il s’agissait de coups et blessures involontaires, dès lors qu’il apparaissait des éléments du dossier que l’agriculteur avait visé le tracteur lui-même (les roues semble-t-il) mais avait touché involontairement les occupants de celui-ci, en raison notamment de son inexpérience au tir et de la hauteur du fenil et l’angle de tir qui en découlait.

 

Fort de cette nouvelle qualification, l’agriculteur appela à la cause ses assureurs RC familiale, en vue de leur faire supporter l’indemnisation des parties civiles. Le raisonnement était logique : puisque l’élément moral retenu était la faute (et non le dol, c’est-à-dire l’intention de causer les blessures), pourquoi ces assureurs, qui couvrent les conséquences des fautes de leur assuré, ne pourraient-ils intervenir ?

 

Ces assureurs invoquèrent alors qu’ils ne pouvaient être condamnés à couvrir ce sinistre vu le caractère intentionnel de celui-ci : l’acte était bien volontaire, puisque le but était de causer un dommage (au tracteur), même si les conséquences avaient dépassé le but initial. Précisons qu’ils se basaient tant sur les dispositions légales précitées que sur les clauses des polices d’assurances respectives, qui rappelaient cette exclusion.

 

Si le Tribunal correctionnel donna raison à l’agriculteur contre ses assureurs, la Cour d’appel de Liège (sur appel de ces derniers) réforma cette décision en excluant la garantie en raison du caractère intentionnel du sinistre.

 

L’agriculteur forma un pourvoi contre cette décision, mais la Cour de cassation vient de le rejeter en motivant sa décision comme suit :

 

« La faute intentionnelle qui exclut la garantie de l’assureur est celle qui implique la volonté de causer un dommage et non simplement d’en créer le risque.

 

Pour que l’exclusion de la garantie soit acquise à l’assureur, il suffit, mais il faut, qu’un dommage ait été voulu. Cette condition étant remplie, la faute est intentionnelle quand bien même la nature ou l’ampleur du sinistre n’auraient pas été recherchées comme telles par l’auteur. »[2]

 

Par cette décision, la Cour rappelle sa jurisprudence désormais bien établie, et qui est en général admise par la doctrine.

 

Cette affaire permet également de se souvenir que, même si c’est le juge pénal qui est amené – comme en l’espèce – à examiner cette question d’intentionnalité du sinistre, il ne doit pas s’arrêter à l’aspect fautif (et non dolosif) de l’infraction retenue, mais doit faire application des règles de droit civil comme le ferait un juge civil.

 

Jean-François DISTER

 

[1] Art. 62, al. 1er de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, qui reprend l’art. 8, al. 1er de l’ancienne loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre.

[2] Cass., 8 juin 2016, RG P.16.0253.F, inédit.