Conséquences du divorce sur les actions de société

Les conséquences du divorce sur les parts et actions de société.

 

  1. Introduction.

Nombreux sont les entrepreneurs qui font le choix d’exercer leur activité en société plutôt qu’en personne physique. Lorsque ceux-ci sont mariés, le choix de leur régime matrimonial aura de nombreuses implications sur le statut et la gestion des parts de la société, mais également sur la manière dont elles devront être partagées à la suite d’une procédure de divorce. Nous évoquerons dans les quelques lignes qui vont suivre les principales règles qui sont applicables dans un tel contexte[1].

  1. Statut des parts et actions durant le mariage.

Lorsque les époux sont mariés en régime de communauté (ce qui est notamment le cas de l’ensemble des époux qui n’ont pas conclu de contrat de mariage), les parts de société seront propres dans les cas suivants (art. 1399 et 1404 du Code civil) :

  • lorsqu’elles ont été acquises par un époux antérieurement au mariage ;
  • lorsqu’elles ont été acquises par succession ou libéralité (par exemple une donation) durant le mariage ;
  • lorsqu’elles ont été acquises par un époux en remploi de fonds propres.

En dehors de ces hypothèses, les parts ou actions de société acquises à titre onéreux par un époux commun en biens durant le mariage seront généralement réputées communes et appartiennent donc conjointement aux époux.

Toutefois, lorsque les parts ou actions communes sont attribuées à un seul époux ou inscrites à son seul nom dans une société où toutes les parts sont nominatives, l’article 1401, 5° du Code civil prévoit que les droits résultants de la qualité d’associé sont propres, quel que soit le moment de leur acquisition. La loi opère ici une distinction entre le titre (les droits résultants de la qualité d’associé), qui est propre, et la finance (la valeur économique des parts), qui demeure commune. Ainsi par exemple, les parts d’une SPRL (ou même d’une SPRLU) constituée pendant le mariage sont une valeur commune qui devra être partagée entre les époux en cas de divorce, indépendamment du fait que seul l’un d’eux en soit titulaire. Les droits d’associés attachés à ces parts, tels que le droit de vote, le droit de participer aux assemblées générales ou d’intenter une action en retrait ou en rachat, ne pourront en revanche être exercés que par le seul époux titulaire.

Notons enfin que les revenus produits par ces parts, qu’elles soient propres ou communes, sont en toute hypothèse communs en régime de communauté, soit qu’il s’agisse de revenus professionnels (art. 1405, 1° du Code civil), soit qu’il s’agisse de revenus de biens propres (art. 1405, 2°), soit enfin par application de la présomption de communauté (art. 1405, 4°). Des aménagements pourront, le cas échéant, être prévus par contrat de mariage.

Lorsque les époux sont mariés en séparation de biens, les parts seront la propriété exclusive de l’époux titulaire, tant sur le plan du titre que de la finance, sous réserve d’une acquisition en indivision. La preuve de la propriété exclusive des biens sera la plupart du temps rapportée par leur titre. A défaut, la loi prévoit une présomption d’indivision entre époux séparés de biens en ce qui concerne les biens meubles corporels ou incorporels (art. 1468, alinéa 2 du Code civil).

 

  1. Gestion des parts et actions durant et après la procédure de divorce.

Entre époux et relativement à leurs biens, les effets du divorce remontent au jour du dépôt de la demande en divorce. De nombreux mois peuvent s’écouler entre ce moment et celui où le régime matrimonial des époux sera liquidé et leurs biens partagés.

Durant cette période, la gestion des parts ou actions propres à un époux (qu’elles l’aient été dans un régime de communauté ou de séparation de biens) ne suscite pas de difficultés particulières. Elle reviendra logiquement à l’époux titulaire, à l’exclusion de son conjoint, de la même manière que durant le mariage. Les revenus produits par ces parts (dividendes,…) redeviennent quant à eux personnels à l’époux titulaire à dater de la demande en divorce.

En ce qui concerne les parts ou actions communes, le prononcé du divorce a pour effet de dissoudre le régime matrimonial des parties et les règles de gestion spécifiques qui s’y appliquent. Le patrimoine commun laisse place à une indivision qualifiée de « post-communautaire », qui sera régie par le droit commun de l’indivision (art. 577-2 du Code civil), notamment en ce qui concerne les règles de gestion. Ainsi, seuls les actes à caractère conservatoire pourront être accomplis par un époux seul, tandis que les actes de disposition et d’administration nécessiteront le concours des deux ex-époux.

Pour les parts ou actions attribuées à un seul époux dans une société où elles sont toutes nominatives (art. 1401, 5° du Code civil), les principes de gestion durant l’indivision post-communautaire doivent permettre de respecter la distinction entre le titre et la finance. Une majorité d’auteurs considèrent que les droits d’associés, dans la mesure où ils étaient qualifiés de propres durant le mariage, continuent d’être exercés par le seul époux titulaire même après le divorce. Les accroissements de valeurs des parts et les dividendes qu’elles génèrent viennent quant à eux accroître l’indivision et continueront de bénéficier aux deux époux jusqu’au partage définitif. L’époux chargé de gérer les parts veillera par conséquent à ne rien faire qui pourrait appauvrir l’indivision et sera comptable de sa mauvaise gestion éventuelle.

 

  1. Attribution et évaluation des parts et actions lors du partage.

Lors de la liquidation du régime matrimonial, c’est le droit des sociétés et non le régime matrimonial des époux qui déterminera l’époux auquel les parts seront attribuées. Ainsi, les parts propres seront logiquement attribuées à l’époux titulaire. Si les deux époux sont titulaires d’actions propres dans la même société, il peut être indiqué que l’un d’eux rachète les parts de l’autre.

Si les parts ou actions sont indivises, c’est en principe un partage en nature et par moitié qui devra intervenir, sauf disposition contraire du contrat de mariage ou des statuts de la société.

Les parts communes en valeur mais propres sur le plan de la titularité des droits d’associés seront attribuées à l’époux titulaire. Ainsi, les sociétés constituées pour l’exercice de l’activité professionnelle d’un époux ont un caractère intuitu personae marqué, de sorte que l’attribution des parts à l’autre conjoint ne saurait se justifier et sera souvent même exclue par les statuts. Seule la valeur des parts doit être partagée entre les ex-conjoints.

L’époux qui se voit attribuer des parts dont la valeur dépendait du patrimoine commun ou d’une indivision devra indemniser son ex-conjoint à concurrence de la moitié de la valeur de ces parts. Cette valeur sera la plupart du temps déterminée à l’aide d’un réviseur d’entreprise, étant entendu que la valeur de la clientèle, notamment des professions libérales, sera l’une des composantes à intégrer dans la valorisation de la société. La valeur des parts doit être déterminée au jour du partage, de sorte que les fluctuations, en positif ou en négatif, survenues entre le jour de dissolution du régime matrimonial et celui du partage font perte ou profit pour l’indivision, pour autant qu’elles soient normales. En revanche, si ces fluctuations sont les conséquences des efforts accrus ou, au contraire, de la mauvaise gestion de l’époux titulaire des parts, le profit ou la perte devront être répercutés sur ce seul époux.

 

Le régime matrimonial des époux est un élément à ne pas négliger lors de la constitution d’une société destinée à recueillir l’activité professionnelle de l’un d’eux. La simple titularité des parts ne détermine en effet pas nécessairement le caractère propre ou commun de la valeur de celles-ci et l’époux titulaire se voit fréquemment contraint de racheter à son ex-conjoint la moitié de la valeur de sa société, alors qu’il pensait qu’elle lui appartenait à lui seul. Pour anticiper les conséquences défavorables d’un divorce à cet égard, un changement de régime matrimonial peut être envisagé, notamment le passage d’un régime communautaire vers un régime séparatiste. N’hésitez pas à prendre conseil auprès d’un notaire ou d’un avocat.

 

Julie LARUELLE & Frédéric LEDAIN

Avocats au Barreau de Liège

[1] Pour quelques ouvrages de référence en la matière : Y.-H. LELEU et S. LOUIS, Sociétés et régime matrimonial de communauté, Bruxelles, Larcier, 2010.