Pot-pourri, épisode II, The criminal one… Plus prosaïquement, loi du 5 février 2016 modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice (M.B. 19 février 2016, p. 13.130 et s.)
Voici plus d’un an que nous goûtons aux joies que cette réforme nous a apportées, mais effets secondaires et dommages collatéraux continuent à alimenter les conversations de buvettes de palais.
Parmi les nouveautés, et non la moindre : la requête d’appel devant les juridictions pénales de fond.
En fait, la vraie nouveauté n’est pas tant la requête en elle-même, prévue depuis toujours par le Code d’instruction criminelle (mais qui en déposait ?…), mais bien le fait qu’elle soit devenue obligatoire. L’article 204 nouveau du Code prévoit en effet celle-ci « à peine de déchéance », et la saisine de la juridiction d’appel est – à quelques exceptions près – limitée aux griefs soulevés dans celle-ci, (art. 208).
Et ce n’est pas tout : les griefs doivent être indiqués « précisément » dans cette requête, là où le droit judiciaire se contente – sur papier du moins – d’une simple énonciation de ceux-ci (art. 1057, 7° C.j.). D’où certaines inquiétudes au sein du barreau… Et accessoirement aussi pour le Parquet, qu’un amendement a lui aussi soumis à cette joyeuseté.
Nous avons toutefois vite été rassurés. Ou avons cru l’être (et là on spoile un peu…).
En effet, le sort des prévenus qui se défendent sans avocat ne pouvait pas laisser le législateur insensible. La réforme a ainsi permis que la requête prenne la forme d’un formulaire, dont le modèle a été publié en même temps que la loi « pot-pourri II ».
Et comme il était inconcevable de prévoir une procédure différente selon qu’un avocat intervenait ou non, cette faculté a été prévue dans tous les cas de figure. Donc aussi pour nous, les avocats inquiets.
Formulaire, disions-nous. Avec des cases à cocher : une, deux, cinq, dix,… ; griefs pénaux, griefs civils,… Pas de mauvaise réponse possible en apparence, pas de degré de certitude,… Bref, un remake (pot-)pourri du poinçonneur des Lilas : des petites croix, des petites croix, encore des petites croix…
Et comme la juridiction d’appel ne peut connaître que des griefs soulevés, cochons, cochons sans réserve ! « Déclaration de culpabilité », « qualification de l’infraction », « règles concernant la procédure », « violation de la CEDH » (ça fait toujours bien), « recevabilité de l’action civile », « évaluation du dommage (montant) », et il y a un peu plus, je vous le mets ?…
Tout ça pour ça donc : il n’y aurait dès lors qu’à user et abuser de ce formulaire, plutôt que de perdre son temps à rédiger une requête dans le délai qui nous est imparti, et ce même si le généreux législateur nous a dans la foulée donné 15 jours de plus pour faire nos devoirs ?…
Mais c’était trop beau pour être vrai. Et avouons-le, trop simple que pour ne pas risquer de réduire cette réforme à (trop) peu de choses…
La Cour d’appel de Mons nous l’a récemment fait savoir, en décidant, dans un arrêt très motivé, que « le prévenu, en cochant l’ensemble des rubriques relatives tant à l’action pénale que civile, demeure en défaut de respecter l’exigence de motivation de sa requête d’appel et ne rencontre pas le prescrit légal » (Mons, 3 nov. 2016, J.L.M.B., 2017, p. 638, également cité par P. THEVISSEN et D. CHICHOYAN, Les droits des justiciables à des voies de recours ordinaires depuis la loi « pot-pourri II » in CUP, n° 171, p. 282-283).
Mieux encore : une décision ultérieure, rendue par les mêmes magistrats, a sanctionné de manière identique un prévenu dont l’avocat n’avait coché « que » la plupart des rubriques relatives à l’action publique (Mons, 18 janv. 2017, J.T. 2017, p. 175, note).
Retour donc à la dure réalité : l’obligation de motiver son appel est bel et bien essentielle à sa recevabilité, et contourner la loi en cochant plus que de raison comporte certains risques.
Une lueur d’espoir vient néanmoins de nous arriver, mais il faudra sans doute un peu de recul pour en mesurer la portée : la Cour de cassation a récemment sanctionné la Cour d’appel d’Anvers (Cass., 28 févr. 2017, P.16.1177.N) et le Tribunal correctionnel de Dendermonde (Cass., 18 avr. 2017, P.17.0031.N et Cass., 18 avr. 2017, P.17.0105.N), qui avaient statué dans le même sens que leurs collègues wallons précités. Message de nos hauts magistrats, en substance : des griefs non pertinents n’enlèvent pas leur pertinence aux autres…
En conclusion : l’usage du formulaire standard n’est certes pas à proscrire, même si la requête sensu stricto est préférable, mais on conseillera donc à (l’avocat de) la partie appelante de se limiter aux griefs sur lesquels il est sérieusement envisagé de plaider devant la juridiction d’appel, pour éviter la sanction d’irrecevabilité. Car qui trop embrasse, mal étreint…
Article initialement publié dans le Bulletin de prévention n° 30 (juin 2017)